La visiophonie entre économie de coût et entretien du lien social – Christian Licoppe, Télécom Paris

Les technologies de l’information et de la communication nous accompagnent dans notre quotidien — travail, loisirs, lien social, identité, etc. — transformant nos manières d’habiter un environnement de plus en plus équipé, et de faire société. Conscient du rôle toujours plus important des usagers et des consommateurs, l’IMT soutient depuis plusieurs années le développement de recherches de pointe sur les usages de la mobilité et sur la sociologie des réseaux et des TIC. Il développe des recherches interdisciplinaires pour comprendre les évolutions actuelles, de la vie numérique, et ce, dans toutes les dimensions : économique, juridique, gestionnaire, sociale et psychologique. Ces recherches s’intéressent notamment au développement de la communication visiophonique et de la téléprésence, un des thèmes de recherche de Christian Licoppe, sociologue au département de sciences économiques et sociales de Télécom Paris.

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Face à une mobilité devenant luxe, la visiophonie s’avère précieuse dans l’entretien du lien social

Les chercheurs de l’Institut s’intéressent aux interactions visiophoniques depuis dix ans, pariant que cette  technologie alors peu à la mode se développerait massivement avec la croissance des exigences du développement durable. Dès qu’adviennent des restrictions sur les mobilités à grande distance (du prix du pétrole aux effets du volcan islandais), la perception positive de la visiophonie revient en effet à l’ordre du jour. « Dans un horizon plus ou moins lointain, la mobilité à grande distance deviendra un luxe. Et malgré l’obstacle représenté par l’obligation de se préparer à l’espace public, on peut parier que la visiophonie va finalement émerger de façon certaine. C’est un outil puissant de lien social », assure Christian Licoppe. Les chercheurs de l’IMT vont le plus possible sur le terrain, près des utilisateurs, pour mieux comprendre leur comportement et observer en temps réel des nouveaux usages, dans les milieux professionnel et personnel. « Dans beaucoup de nos études, il y a une visée ethnographique. Nous cherchons à observer ce que les gens font, à recueillir des données vidéos et à regarder comment elles sont produites », explique le sociologue.

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L’usage de la visiophonie dans le milieu de la justice

Les chercheurs de Télécom Paris travaillent notamment depuis plusieurs années avec le ministère de la Justice qui leur donne accès à des audiences où ils étayent leurs observations. « Nous avons pu observer la diffusion grandissante de la visiophonie dans ce milieu professionnel particulier, dans lequel elle avait été d’abord introduite pour permettre des économies substantielles de coûts d’extraction des détenus », raconte Christian Licoppe. Des premières expérimentations avec des appareils et des manuels compliqués à ce qui se passe aujourd’hui, avec la comparution des détenus en visiophonie, ce partenariat sur le long terme a vraiment permis d’observer toute la mise en place de ce phénomène. En parallèle, les chercheurs explorent les usages personnels de la visiophonie — utilisée surtout pour l’entretien
du lien social — grâce à des méthodologies originales d’observation et d’enregistrement à domicile (sur Skype ou MSN) et, plus difficile, en situation mobile. Les utilisateurs mobiles, encore peu nombreux, ont des usages significatifs préfigurant ce que pourrait être le marché futur de ces services, notamment avec l’iPhone 4. « Ces utilisateurs sont technophiles mais créent une interaction assez banale, devenant à la fois producteurs d’images mais aussi audience de l’image renvoyée, dans une forme d’interaction qui imbrique sans cesse la parole et l’image », pointe Christian Licoppe. Lors des usages à domicile, les chercheurs observent l’entretien du lien social de personnes géographiquement très distantes. « Un outil comme Skype est le parfait exemple de la diffusion certaine de la visiophonie. Il touche un très grand public, qui a internet mais n’est pas technophile, non connecté en permanence. Cela peut très bien être la grand-mère qui veut voir ses petits enfants », souligne le sociologue.

Moins addictif et moins publicitaire que les réseaux sociaux comme facebook

La visiophonie grand public progresse, sans l’effet d’avalanche et le buzz qui caractérisent les killer applications,mais régulièrement, au fur et à mesure que lescontraintes sur la mobilité se font plus dures et que l’équipement progresse. La téléprésence est une des applications qui justifie le déploiement de réseaux à très haut débit. En quoi se démarque-t-elle d’autres modes de communication électronique, comme ceux des réseaux sociaux et du web 2.0 ? « C’est moins addictif et pas du tout ancré dans l’immédiateté, les gens s’installent dans la communication et développent des compétences audiovisuelles (cadrage, pertinence de l’image) plus que des compétences de publicisation et de mise en avant vues sur Facebook et autre », répond Christian Licoppe. L’IMT pense désormais s’orienter vers des questions liées aux observations de cette première vague d’enquêtes et au développement de formes innovantes de téléprésence : articulation avec les autres médias, partage de documents (y compris multimédias),système économique dans lequel la visiophonie s’insère ou encore mise en place concrète dans les entreprises. Comment va s’équilibrer l’enjeu de la visiophonie avec les gains en termes de mobilité ? Quelles seront les conséquences en termes de présence interconnectée ? Les chercheurs de l’IMT ont de quoi  mettre en place encore quelques expériences d’interactions visiophoniques.

Christian Licoppe : Diplômé de l’École polytechnique et de Télécom Paris. Christian Licoppe est également docteur en histoire des sciences et sociologie des sciences et des techniques. Avant de rejoindre le département de sciences économiques et sociales de Télécom Paris, il a dirigé le laboratoire « usage, créativité, ergonomie»  de France Télécom R&D (Orange Labs). Il mène notamment des recherches sur les usages dans des situations de mobilité utilisant des données de géolocalisation et de communication pour analyser les comportement des utilisateurs de téléphone portable; Il s’intéresse aussi au développement de la communication par la vidéo, sur mobile, sur Skype et également dans des contextes institutionnels comme les procès par visioconférence. Ses recherches s’inscrivent dans le cadre plus large de travaux portant sur les usages des technologies de l’information el de la communication. menés par des équipes de sociologues issues des différents campus des écoles de l’Institut Télécom : Télécom Paris, Télécom SudParis, Télécom Ecole de Management et Télécom Bretagne.