Du lin et du chanvre dans les matériaux composites hautes performances de demain – Chung-Hae Park, Mines Douai
Les matériaux composites sont de plus en plus utilisés par les industriels, surtout dans les transports (automobile et aéronautique). Légers, multi-fonctionnels, et présentant un potentiel important pour limiter l’empreinte environnementale, ils occupent une place majeure parmi les matériaux du futur. À Mines Douai, Chung-Hae Park participe au développement de composites performants et économiquement viables. Leur particularité ? Issus de ressources végétales, ils contiennent au moins 45% en volume de fibres naturelles associées à des matrices polymères elles-mêmes biosourcées tout en étant fabriqués à hautes cadences.
Dans un contexte environnemental contraignant (l’Union européenne vise une baisse de 80 à 95% de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050), la réduction des consommations énergétiques, notamment celles de carburant, est une nécessité absolue. Toutefois, l’amélioration des moteurs d’automobile et d’avion semble atteindre ses limites. L’autre solution consiste alors à alléger la structure des véhicules et de leurs composants en recourant aux matériaux composites. « Cette idée est mise en pratique depuis plusieurs décennies et l’on recourt de plus en plus aux fibres de verre et de carbone intégrées dans des matrices polymères » explique Chung-Hae Park, « en aviation civile et militaire, sur certains modèles (Airbus A350 et Boeing Dreamliner), la masse représentée par les composites dépasse déjà 50% de la masse totale. »
Cependant, plusieurs problèmes se posent : d’une part, le coût encore trop élevé de ces matériaux par rapport aux métaux (acier ou aluminium) ; d’autre part, le recyclage très délicat de ces matériaux hétérogènes dont les constituants ne peuvent être séparés que très difficilement une fois assemblés. C’est là qu’entrent en jeu les fibres végétales.
Placer le lin et le chanvre au niveau des fibres les plus utilisées
Le groupe Composites et Structures Hybrides du département TPCIM (Technologie des Polymères et Composites & Ingénierie Mécanique) de Mines Douai, piloté par Chung-Hae Park, est actuellement le seul partenaire académique impliqué dans deux projets nationaux structurants complémentaires : FIABILIN et SINFONI, tous deux sélectionnés dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir.
Lancés en 2012 pour cinq ans, ils participent à la structuration de la filière française des fibres végétales à usage de matériaux (isolation, renforcement des plastiques, composites agrosourcés), avec des applications finales multi-sectorielles (automobile, aéronautique, ferroviaire, bâtiment, etc.). Outre leur légèreté et leur caractère agrosourcé (ressources annuellement renouvelables), l’avantage des fibres végétales est qu’elles sont dégradables et donc recyclables. « Hélas, beaucoup ne sont pas encore assez performantes au regard des fibres de verre et de carbone. En France, les plus intéressantes sont celles de lin et de chanvre » souligne Chung-Hae Park, « avec les projets FIABILIN et SINFONI, nous avons l’ambition de les positionner parmi les fibres les plus utilisées pour les composites, juste derrière celles de verre et de carbone ».
D’une part, les chercheurs du département TPCIM contribuent à ces projets en étudiant la variabilité naturelle des fibres végétales et ses conséquences sur les propriétés d’intérêt pour des applications composites (moulage, performances mécaniques). Il s’agit de lever un verrou technologique important de ce type de matériaux, et pour cela, de développer des outils numériques d’ingénierie virtuelle utilisables par des bureaux d’études industriels prenant en compte leurs spécificités (variabilité, mais aussi porosité des fibres par exemple) et en les intégrant dans les modèles permettant la simulation des technologies de fabrication et la prévision des performances.
D’autre part, les experts en plasturgie de Mines Douai mettent au point des procédés de moulage par imprégnation directe des renforts pour la fabrication de pièces en composites thermoplastiques 100% agrosourcés à hautes performances, c’est-à-dire ayant des taux volumiques de fibres végétales d’au moins 45%. L’un des défis majeurs consiste à réduire le coût de production de ces pièces en diminuant le temps de fabrication d’un élément sur une chaîne (i.e. en augmentant les cadences industrielles) à deux minutes maximum, comme exigé par exemple dans le secteur automobile. « Au sein du groupe, nous nous intéressons à toutes les étapes de vie d’un produit, de l’élaboration du composite à sa mise en forme puis son intégration dans un assemblage multi-matériaux avec des métaux ou des élastomères, en passant par sa caractérisation et son recyclage » met en avant Chung-Hae Park.
Des matériaux et des procédés intelligents
Il est aussi question de la durabilité et du comportement à long terme de ces matériaux et de leurs assemblages, difficiles à prédire pour des matériaux dont l’histoire est récente (contrairement aux métaux), mais dont la maîtrise est cruciale au regard des applications visées. Pour surveiller l’état de santé des pièces industrielles pendant plusieurs décennies (durée de vie d’un avion civil, par exemple), il est aujourd’hui nécessaire de réaliser des contrôles non-destructifs. Le groupe Composites et Structures Hybrides réfléchit à la possibilité de s’affranchir de ces contrôles via l’intégration de capteurs in-situ, dans la structure-même du matériau, pour en faire un composite intelligent surveillé à distance en ligne.
Et il est envisagé d’aller encore plus loin en intégrant le même type de capteurs aux outils de fabrication des pièces composites afin de contrôler voir d’améliorer, en temps réel, la qualité des produits. L’ambition est de s’orienter vers une chaîne numérique intégrée conception/fabrication/contrôle de composites et des assemblages les incluant, la demande industrielle en la matière étant forte. « Nous nous démarquons sur ces recherches » appuie Chung-Hae Park, « et, bien qu’il y ait beaucoup d’équipes en France et en Europe qui travaillent sur les composites agrosourcés, nous sortons du lot par la gamme de performances que nous visons, avec 45% de fibres minimum sous forme de renforts textiles garantissant des propriétés mécaniques élevées, ainsi que par notre niveau de maîtrise de la simulation numérique des procédés de fabrication de pièces industrielles associées ».
Aucun doute que les matériaux composites resteront l’un des centres d’intérêt majeurs des recherches à l’avenir. Et c’est d’ailleurs l’une des sept thématiques définies par l’Alliance Industrie du futur dont fait partie l’IMT et qui vise à déployer le plan gouvernemental éponyme lancé en 2015.
Après l’obtention d’une licence (BSc) et d’un master (MSc) en sciences à l’Université Nationale de Séoul (Corée du Sud), Chung-Hae Park se lance en 2000 dans une thèse en cotutelle sur les matériaux composites. Pendant trois ans, chaque année, il passe six mois à l’Université de Séoul et six mois à Mines Saint-Étienne. Un sacré challenge qui fait figure d’exception en Corée du Sud, tant les thèses de ce type y sont rares.
Chung-Hae décroche son doctorat en 2003 puis intègre pendant deux ans en Corée la filiale pétrochimique de LG, en collaboration avec de nombreuses entreprises internationales, notamment dans la filière automobile. Il quitte LG pour suivre sa passion de l’enseignement et de la transmission des connaissances et obtient en France, à l’Université du Havre, un poste d’enseignant-chercheur en 2005. En 2011, Chung-Hae soutient son Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), toujours sur la thématique des matériaux composites. Attiré par l’aspect précurseur de Mines Douai sur la recherche dans ce domaine, il y entre deux ans plus tard.
Depuis 2014, il est responsable du groupe Composites et Structures Hybrides au département TPCIM (Technologie des Polymères et Composites & Ingénierie Mécanique). Ce groupe rassemble une trentaine de personnes (enseignants-chercheurs, techniciens, doctorants, post-doctorants).