Les pollutions marines sous l’œil des caméras ultrarapides – Pierre Slangen, Mines Alès

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Les caméras ultrarapides permettent de dévoiler les phénomènes invisibles à l’œil nu. À Mines Alès, Pierre Slangen, le spécialiste en optique appliquée, les utilise pour monter des dispositifs de très haute technologie et comprendre ainsi comment se dispersent les gaz et les liquides lors d’accidents environnementaux.

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Certains phénomènes physiques se produisent à des échelles de temps si petites qu’ils restent pratiquement invisibles à moins d’utiliser des caméras ultra-perfectionnées et des dispositifs de projection laser de pointe. C’est la spécialité de Pierre Slangen qui a développé une thématique de recherche en optique appliquée aux nouvelles technologies de visualisation des polluants en milieu aquatique à Mines Alès. Déjà, en 1993, avant sa thèse de doctorat d’État obtenue en Belgique, il caractérisait des matériaux grâce aux hologrammes en mesurant des déplacements de seulement 0,5 µm. Il poursuit dans cette thématique dès 1995 en rejoignant Mines Alès. En 2003, il collabore avec l’équipe créatrice d’un nouveau système informatique d’aide à la décision en cas de rejets accidentels de substances chimiques en mer, dans le cadre du projet Clara, avec le Cèdre, l’Ifremer, Météo France et l’Inéris. Il ne restait plus qu’à observer finement l’évolution de ces rejets chimiques dans l’eau de mer. Si les recherches se multiplient pour voir l’invisible, des traces de nanoparticules aux produits chimiques en passant par certains gaz, c’est grâce aux possibilités qu’offrent aujourd’hui les caméras ultrarapides. « Elles permettent de découvrir une quantité impressionnante de phénomènes extrêmes où l’optique, si elle ne permet pas toujours de voir, permet au moins de distinguer », précise Pierre Slangen.

photo laboImagerie rapide en éclairage collimaté d’un rejet contrôlé de pollution marine

Imagerie ultrarapide

Incontournables à l’heure actuelle dans la lutte contre la pollution marine pour détecter de minuscules gouttelettes de polluants ou l’éjection de gaz à la dynamique très complexe, ces caméras à haute fréquence d’enregistrement permettent de mieux comprendre comment s’opère le mélange de différents fluides. Lors du naufrage d’un chimiquier, les produits qu’il transporte peuvent en effet suivre des comportements différents à travers la colonne d’eau. Il faut donc observer précisément, en laboratoire sur des pilotes expérimentaux, ces phénomènes non-linéaires de mécaniques des fluides qui se déroulent sur des temps très courts, de l’ordre de la milliseconde pour certains. Grâce à des caméras de haute technologie, il est désormais possible de dilater le temps. La fréquence d’images captées peut atteindre le million par seconde. Rien à voir avec les caméras destinées au grand public qui excèdent rarement les 50 images traitées par seconde. La plus grande cadence permet de mieux voir comment la matière s’organise dans l’espace. En allant parfois beaucoup plus vite que le temps tel que nous le percevons, les caméras ultrarapides utilisées par Pierre Slangen et son équipe permettent de filmer puis de visualiser des microphénomènes dans leurs moindres détails. Ralentir le temps permet d’entrevoir ce qui se passe dans chaque intervalle de temps, de la microseconde à la seconde, ce qui est indispensable pour comprendre la dynamique de dispersion des produits chimiques lors d’un naufrage ou lors de l’explosion d’un gaz confiné dans un tuyau. Pour Laurent Aprin et Frédéric Heymes, les chercheurs en mécanique des fluides de l’équipe, les résultats obtenus en optique permettent de mieux comprendre la dissolution d’un produit chimique lors de sa remontée, en conditions extrêmes de température et de pression après un naufrage profond. Ceci entraine une amélioration de la prévision de la quantité de produit que les services d’intervention devront gérer à la surface et dans l’air avoisinant le relargage (explosivité, toxicité…).

Éclairage au laser

Cette imagerie haute-vitesse demande un éclairage adapté. L’équipe de Pierre Slangen monte ainsi des dispositifs complets dans lesquels la lumière est fournie par des LED superluminescentes, ou par laser pulsé qui envoie des faisceaux lumineux sous forme de flashs. Ces dispositifs sont différents selon la problématique. La goutte de pétrole qui se mélange à l’eau n’a en effet rien de comparable à la déformation d’une tôle laminée pour l’automobile, d’une prothèse d’un athlète paralympique comme Dominique André aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000 ou au dispositif mis en place avec la compagnie de danse Zéline Zonzon qui voulait montrer que les danseurs perçoivent et déplacent l’air autour d’eux. « J’étais un développeur de techniques particulières, je suis aujourd’hui un assembleur. Je dis toujours à mes élèves que si vous ne maîtrisez pas le contenu de la boîte, vous ne maîtriserez pas la boîte. », explique Pierre Slangen.

Le travail ne s’arrête pas là. Non content de construire les meilleurs dispositifs, Pierre Slangen veut pouvoir les qualifier. Avec son équipe, il quantifie mathématiquement ces méthodes d’un point de vue métrologique et évalue la dégradation de l’information liée aux incertitudes de mesures comme le bruit inhérent à la cohérence de la source laser ou aux distorsions intrinsèques aux caméras et aux objectifs associés.

L’avantage de ces techniques optiques de mesures plein champ, plus particulièrement en lumière diffuse, est qu’elles conviennent bien au contrôle non destructif et à la métrologie de champs de déplacements de solides et de fluides en 3D grâce à leur grande sensibilité et à leur excellente résolution spatiale. L’instrumentation d’essais mécaniques sur la base de techniques telles que la corrélation d’images et l’interférométrie en lumière diffuse conduit aux champs cinématiques qui sont à la base de l’identification du comportement des matériaux étudiés.

Le prochain défi de Pierre Slangen est d’observer des champs étendus (1m2) avec une résolution de 1 µm. Il faudrait des capteurs rapides de dizaines de millions de pixels… qui n’existent pas encore. L’idée est de copier les astrophysiciens qui, au Chili avec le Very Large Telescope de l’observatoire européen austral, s’essaient au multiplexage. Ils assemblent des images plus petites mais très bien résolues. La compréhension des micro-phénomènes rejoint celle de l’infiniment grand.

 

 

Evaluer et prévenir les risques industriels

Depuis plusieurs années, les acteurs de la filière pétrolière et gazière expriment leurs besoins en outils de modélisation de fuites sur les puits offshore. L’accident de la plateforme Deepwater Horizon en 2010 a confirmé l’importance de cette connaissance fine des phénomènes sous-marins et de leurs conséquences en surface. Le projet collaboratif METANE « Modeling undErwater gas/oil blowouT And lNg lEak » a obtenu en 2011 une double labellisation des Pôles Mer Bretagne Atlantique et Mer Méditerranée, ainsi qu’un financement du FUI (Fonds Unique Interministériel) pour développer un tel outil d’aide à la décision autour des risques industriels liés à une fuite sous-marine de pétrole, de gaz naturel ou de gaz naturel liquéfié (GNL) en mer. Ce projet d’une durée de 3 ans a été soutenu financièrement à hauteur de 330 k€. METANE, c’est aussi un groupement d’acteurs majeurs du secteur privé et public qui apportent chacun leurs expertises : Alyotech, le Cedre, Nymphea Environnement, Mines Alès et GDF SUEZ.

L’outil développé permet in fine de définir des plans de prévention et de gestion de crises focalisés sur le risque d’accidents lié aux fuites sous-marines d’hydrocarbures. Pour calibrer et valider le modèle numérique, le projet a nécessité des essais en laboratoire à Mines Alès et in situ au Cedre à Brest. Ces essais ont permis d’étudier la trajectoire, la dissolution et la vitesse de remontée des bulles de gaz ou des gouttelettes de pétrole dans la colonne d’eau à partir de moyens optiques. Les thématiques du projet sont la sécurité et l’environnement et visent à appréhender les risques pour le personnel et le matériel des installations off-shore.

 

Pierre Slangen est tombé dans les techniques de visualisation dès sa maîtrise en optoélectronique. Il était alors passionné par la réalisation d’hologrammes, ces images en trois dimensions qui ne nécessitent pas de lunettes spéciales. Après une thèse de doctorat d’état en 1995 à l’université belge de Liège, il est aujourd’hui maître de recherche à Mines Alès et habilité à diriger des recherches depuis 2013. Il a rejoint l’équipe de l’Institut des Sciences des Risques de Mines Alès en 2010. Il mène actuellement ses travaux dans le cadre de contrats sur l’analyse par imagerie de jets liquides fragmentés, la perte de confinement par impact hypervéloce dans des réservoirs, ou l’étude des transferts atmosphériques ainsi que les fuites de pétrole ou de gaz naturel liquéfié (GNL) en mer. Il diffuse ses connaissances par les cours qu’il donne sur les capteurs, l’optique appliquée et l’holographie, mais aussi en participant à des émissions de télévision. En savoir + http://hisians.wp.imt.fr/