Dépollution par filtres plantés de roseaux : une filière française qui s’étend – Florent Chazarenc, Mines Nantes
La capacité des zones humides à retenir et dégrader une grande variété de polluants en milieu urbain comme en milieu rural est reconnue depuis de nombreuses années. La compréhension de leur fonctionnement a facilité la création de biofiltres tels que les filtres plantés de roseaux. À Mines Nantes, le chercheur Florent Chazarenc a étudié ces systèmes sur de longues périodes et élaboré des solutions adaptées à de nombreux types d’eaux usées. Il souhaite améliorer la filière française de traitement des eaux usées domestiques, une expertise qui commence à s’exporter.
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Traiter les effluents en s’adaptant à la nature des polluants
Les eaux usées (ou effluents) sont soit des sous-produits d’une utilisation humaine, domestique, agricole ou industrielle, soit les eaux de ruissellement. On y trouve des phosphates et des nitrates, des métaux lourds, des hydrocarbures et des médicaments. « Ma recherche consiste à mettre au point des solutions de traitement de ces eaux, adaptées à des situations pour lesquelles il n’existe rien : tout dépend de la nature de l’effluent, mais le vecteur est toujours l’eau. » explique Florent Chazarenc. Le chercheur travaille essentiellement selon une catégorie de procédés d’épuration, dits de phytoépuration, un système de traitement des effluents utilisant des plantes macrophytes (plantes aquatiques à organes submergés ou flottants), des substrats (sables, graviers…) et des micro-organismes. La technique consiste à créer une zone humide artificielle et à en faire des biofiltres communément appelés filtres plantés de roseaux ou marais artificiels.
L’épuration de ces eaux se fait selon des processus physiques, biologiques ou chimiques. Des plantes avec une très grosse densité de racines vont ainsi induire une bonne filtration physique, tandis que les micro-organismes se développant à leur surface vont engendrer une activité biologique qui va notamment permettre de décomposer des polluants tels que les nitrates, et les transformer en azote gazeux. « Et quand on ne sait plus faire en biologique, on passe au chimique », ce qui est fait pour les phosphates. « La combinaison des trois est ce qu’on appelle des technologies caméléon », développe le chercheur, « qui consistent à créer des réacteurs biologiques et physico-chimiques adaptés à toutes les catégories d’effluents », et ce quels que soient les climats (température, ensoleillement), ou les conditions de charge hydraulique et organique.
De cette diversité des effluents découle une recherche de solutions tous azimuts. Florent Chazarenc et son équipe mènent de nombreux projets en parallèle, de la mise au point de dispositifs pour réhabiliter des lagunes construites dans les années 80 et leur donner une seconde vie, au traitement de « jus de décharge » en Afrique du Nord en détruisant les polluants par électrolyse et/ou photocatalyse couplées aux filtres plantés de roseaux, en passant par la protection de marais naturels par l’utilisation de marais artificiels.
Améliorer la filière française de traitement des eaux usées domestiques
« Depuis les années 80, et l’initiative de l’IRSTEA de Lyon, plus de 2500 filtres plantés de roseaux ont été déployés en France pour des villes et villages de moins de 2000 habitants », et Florent Chazarenc a contribué à l’essor de ces installations dès les années 90. Le procédé en France est dit de « filtre à écoulement vertical », l’eau usée étant répartie en surface et filtrée dans le massif par percolation. Cependant, l’emprise au sol de 2 à 3 m2 de surface de filtre par habitant est parfois un frein au développement de la filière. Bien qu’il existe des solutions d’amélioration pour descendre à 1 m2/hab, voire 0,5 m2, elles ne sont pas encore associées à de grandes agglomérations, ou à des effluents issus de l’agro-alimentaire.
Le double drain n’est présent que dans la filière compacte, limitée au premier étage, plus profond.
Florent Chazarenc a étudié les résultats sur 10 ans de plus de 150 de ces installations, filière à deux étages ou à un seul étage de traitement. Et le chercheur souhaite améliorer cette filière française de traitement des eaux usées domestiques, qui commence à s’exporter. « Aujourd’hui, on sait très bien traiter les matières en suspension, les matières organiques, mais on peut faire mieux pour les nutriments comme les phosphates ou les nitrates », précise-t-il. Il s’agit de prendre la filière classique et d’avoir la même démarche que dans le génie des procédés : « intensifier le système extensif ».
Deux approches, dites semi-extensives, sont étudiées. La première consiste à intensifier le processus de dépollution par des techniques chimiques. C’est dans ce cadre que s’est tenu le projet européen Slasorb, un dispositif innovant de traitement extensif des phosphates en utilisant comme matériau réactif un co-produit de l’industrie métallurgique. « Ce projet a besoin d’une première référence industrielle », ajoute le chercheur qui souhaite en valoriser les ruptures technologiques. La deuxième approche revient à diminuer le volume réactionnel et l’emprise au sol du procédé. Cela peut se faire en utilisant l’aération forcée ou la recirculation des effluents de la sortie vers la tête du procédé, les deux moyens nécessitant de l’énergie, qui peut être renouvelable (éolienne ou solaire…).
De nombreux autres types d’effluent auxquels s’intéresse Florent Chazarenc peuvent être traités avec des filtres plantés de roseaux et des aménagements spécifiques, comme les effluents industriels (pâtisserie industrielle, chocolaterie, fabrique de sodas…) ou les boues.
Il faut un à deux ans pour qu’un filtre planté de roseaux à flux vertical atteigne son efficacité optimale. Ces temps longs nécessitent de travailler sur plusieurs projets en parallèle, en partenariat avec des microstructures, des PME ou des grands groupes. Pour les uns il s’agit de recherche fondamentale, pour les autres, plus nombreux, de recherche appliquée avec valorisation rapide. Dans ce cadre, le niveau de maturité technologique est un indicateur important des solutions étudiées, du niveau 1 « principe de base observé », au niveau 9 « système réel prouvé ». La plupart des travaux de Florent Chazarenc se situent entre 5 et 7, et quelques-uns aux niveaux 3 et 4.
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Les eaux de ruissellement nécessitent aussi des traitements
Si le traitement des eaux usées draine de nombreux financements, celui des eaux pluviales commence tout juste à en recevoir. Ces eaux sont contaminées par le ruissellement : le lavage des sols, le contact avec des surfaces polluées, par exemple par l’usure des pneumatiques sur les routes. « Il reste un peu de pollution atmosphérique dans certains pays (pluies acides) » précise le chercheur, « mais c’est en assez forte diminution ». En milieu rural, on trouvera en revanche des surplus d’engrais lessivés par les pluies.
Là encore, « la solution est d’utiliser le végétal comme usine de dépollution ». Par exemple en partenariat avec des sociétés d’autoroute pour les eaux de ruissellement recueillies dans les bassins de collectes en y plaçant des radeaux flottants (plantes enracinées dans un flotteur) pour en améliorer les performances. Ou bien via des procédés favorisant la sédimentation, des fossés plantés ou des fossés enherbés. « Il y a une politique mondiale de ne plus se débarrasser de ces eaux de ruissellement directement dans les rivières, mais de les traiter avant », se félicite le chercheur, citant entre autres la Water Framework Directive [2000/60/EEC] en Europe. Pour autant, la pression législative est moins forte sur ce domaine, et les partenaires potentiels comme les financements sont encore peu nombreux.
Si l’efficacité des filtres plantés de roseaux est reconnue, c’est la reconnaissance de leur intérêt par le grand public qui pourra en assurer le déploiement à grande échelle.
Professeur à Mines Nantes, Florent Chazarenc a contribué dès les années 90 à l’essor des procédés de traitement des eaux usées par filtres plantés de roseaux, à travers son stage d’ingénieur et son doctorat en génie de l’environnement de l’Université de Savoie. Il effectue son post-doctorat conjointement à l’École Polytechnique de Montréal et à l’Institut de recherche en biologie végétale de Montréal, puis revient en France en 2007 où il passe son Habilitation à Diriger les Recherches en 2013. Ce marathonien et tri-athlète sait ce que signifient le travail sur la durée et la combinaison de procédés. Lui et son équipe, « un groupe qui m’a permis de conduire ces essais pendant toutes ces années », ont obtenu une reconnaissance significative à travers de nombreux projets. Organisateur de la cinquième conférence WETPOL (International Symposium on Wetland Pollutant Dynamics and Control) en 2013 à Nantes, il est également très impliqué au sein de plusieurs groupes de spécialistes de l’IWA (International Water Association) sur les sujets des filtres plantés de roseaux et du contrôle de la pollution des eaux. À travers ces activités, il souhaite faciliter la mise en réseau et la divulgation des informations, aider les jeunes chercheurs et les orienter, et valoriser des solutions en dehors de leur champ premier, comme la vente de zones de finition en bout de stations traditionnelles.